• Qui est Polyxenia ?


    Il ne s'agit pas de Polyxena (Polyxène)

    Polyxène ((Πολυξένη) est dans la mythologie grecque une héroïne troyenne, fille du roi Priam et de son épouse Hécube. Elle apparaît après Homère dans le cycle troyen, mais ce sont les auteurs de théâtre qui au Ve siècle lui donnent un destin tragique, et particulièrement Euripide. Comme Iphigénie, la fille du roi grec Agamemnon, elle est en effet la victime de la folie des hommes. Ces deux princesses doivent être sacrifiées de façon symétrique, l'une au début de la guerre de Troie, et l'autre juste après la chute de la cité, pour que les vents se lèvent et que l'armée grecque puisse enfin se déplacer, d'abord pour partir en guerre, puis pour rentrer chez elle. 

    Le nom de Polyxène vient de deux mots grecs : l'adjectif polys (πολύς, πολλή, πολύ) qui sert souvent de préfixe poly- et qui signifie beaucoup, nombreux, et le nom xenos (ξένος) qui désigne à la fois l'étranger et l'hôte, qu'il faut accueillir, honorer et protéger. Peut-être la princesse Polyxène était-elle destinée par ses parents à recevoir beaucoup d'hôtes, à manifester une grande hospitalité ? La folie des hommes, qui depuis le début de l'humanité sacrifient des innocents à leur rage guerrière, en a décidé autrement : la civilisation est perpétuellement menacée par la barbarie.


    La notion méditerranéenne de « xenia »

    Le nom abstrait xenia (ξενία, accentué sur le iota) a été composé par suffixation à partir des adjectifs xenos (ξένος) et xenios (ξένιος) qui désignent celui/ce qui est étranger. La xenia est donc d'abord la qualité d'étranger.

    Or dans toutes les cultures, le voyageur, par définition étranger à la communauté sédentaire qui le voit arriver, est un individu qui peut être perçu comme dangereux : qui est-il ? pourquoi vient-il ? avec quelles intentions ? Et réciproquement, le voyageur n'est jamais sûr de l'accueil qui va lui être réservé : dans l'Odyssée, qui nous donne dans la littérature occidentale les exemples les plus anciens de contacts entre des peuples différents, les Cyclopes ou les Lestrygons sont particulièrement peu accueillants.

    La xenia est donc le rituel que les sociétés méditerranéennes antiques ont mis en place pour apprivoiser l'Autre en quelque sorte. Il est entendu que le voyageur bénéficie de la protection de la divinité, Zeus Xenios en Grèce, et qu'à ce titre il faut absolument le respecter, le recevoir et le protéger. Sa position sociale importe peu : ainsi, dans l'Odyssée, la reine Pénélope accueille-t-elle en son palais un mendiant dont elle ignore qu'il est en réalité Ulysse.

    Ulysse et Pénélope
    Ulysse et Pénélope - Plaque en terre cuite
    460-450 av.JC - Musée du Louvre
    © Agnès Vinas

    Lorsque l'hospitalité est offerte, invitant et invité sont liés par une série d'obligations contraignantes, régies par le système du don et du contre-don :

    • celui qui invite doit offrir gîte, couvert et protection. Il peut aussi offrir à son invité des cadeaux matériels plus ou moins somptueux. Il peut enfin lui donner les moyens de continuer son voyage pour rentrer chez lui. C'est le cas des Phéaciens, présentés dans l'Odyssée comme le modèle du peuple hospitalier.
    • en contrepartie, l'invité doit respecter ses hôtes, ne pas les attaquer, et offrir ce qu'il peut. Dans le cas d'Ulysse, échoué nu sur le rivage des Phéaciens après une affreuse tempête au cours de laquelle il a absolument tout perdu, il n'a guère que ses récits à offrir. C'est ainsi que toutes ses aventures depuis son départ de Troie, les épreuves qu'il a subies chez Polyphème, Circé ou au large du rocher des Sirènes, sont racontées à des auditeurs avides de ce genre de distractions, et ravis du cadeau qu'on leur fait.

    Tous ces cadeaux échangés se nomment en grec xenia (τὰ ξένια, au neutre pluriel, accentué sur l'epsilon). Au moment du départ, il peut arriver que les deux parties partagent en deux un objet quelconque, par exemple un tesson de poterie. Les descendants qui auront hérité de ces demi-objets pourront se présenter les uns aux autres et se faire reconnaître comme toujours liés par le même système d'obligations d'hospitalité, même des générations plus tard : chacune de ces deux moitiés se nomme en grec symbolon (σύμβολον). Telle est l'origine étymologique du nom « symbole ».

     

    Le néologisme « polyxenia »

    Le nom polyxenia (πολυξενία) n'existe pas en grec ancien, mais on trouve l'adjectif polyxenos (πολύξενος, ος, ον), dont le féminin est polyxenos (πολύξενος) qui peut désigner à la fois une personne qui reçoit beaucoup d'invités, très hospitalière, et un lieu très fréquenté par les étrangers. C'est probablement ce sens que lui donne le propriétaire d'un complexe hôtelier situé sur la côte orientale de l'île de Chypre... Les internautes qui chercheront notre blog mais taperont l'extension .com seront donc invités à aller passer leurs vacances dans un lieu très hospitalier... mais peut-être un peu éloigné géographiquement de nos bases.

    Pour notre part, nous allons considérer cette Polyxenia comme une sorte de divinité tutélaire, même si aucun dictionnaire de mythologie ne la mentionne, une allégorie qui incarnera l'esprit de ce site : une auberge non pas espagnole mais méditerranéenne, un caravansérail qui cherchera à favoriser toutes les rencontres possibles entre les langues et cultures de la Méditerranée. Donc un lieu où l'étranger sera, comme dans la Grèce antique, convié à entrer, à s'asseoir, à partager le pain et le sel ; et pour toute contrepartie de cette hospitalité, on lui demandera de raconter d'où il vient, quelle est sa cité, qui sont ses amis, quelle est son histoire. Comme chacun sera ici tour à tour l'étranger et celui qui l'accueille, on pourra véritablement parler de poly-xenia...

     


     Pour prolonger sur cette notion de « xenia »

    Le Livre de l'Hospitalité Le don d'Hospitalité L'Etranger dans la Grèce antique